Les réseaux sociaux, et en premier lieu Twitter, ont banni l’ancien président américain Donald Trump ou ont bloqué son compte à la suite de la prise du Capitole par ses militants et le décès de cinq personnes durant celle-ci. Ils ont pourtant bénéficié de la puissance mobilisatrice de ses comptes qui leur assurait un trafic colossal tout en abreuvant les « murs » de désinformation et de rumeur.

– 73 %, c’est la dégringolade des fausses informations liées aux élec­tions présidentielles depuis que Do­nald Trump a été banni de Twitter et des autres réseaux sociaux. Rap­pelons que, à la suite de la prise du Capitole par des manifestants issus de mouvements extrémistes que l’an­cien président américain avait encou­ragés, Twitter avait été le premier à décider de bloquer définitivement son compte.

Après avoir ajouté un label préventif sur les publications de Donald Tru-mp à l’issue de l’élection qu’il avait contestée, le réseau social a expliqué que l’auteur des tweets rageux violait de façon répétitive leurs conditions d’utilisation et incitaient à la violence tout en participant à la désinforma­tion. Outre ce compte Twitter, ses comptes sur Facebook, Instagram, Snapchat et YouTube ont également été bloqués pour une durée indéter­minée.

Un grand coup de balai dans la désinformation

Mais les réseaux sociaux ne se sont pas contentés du seul compte de Do­nald Trump : ils ont effectué un net­toyage de fond de tous les contenus relayant ou entretenant la désinfor­mation sur l’élection. Au total, 70 000 comptes ayant des liens avec le mou­vement complotiste QAnon. Ce mé­nage, qui a été réalisé du 9 au 15 jan­vier 2021, a donc fait chuter le taux de désinformation sur les élections de 73 %. Exit les histoires de bulletins de vote falsifiés et les machines au­tomatiques de vote piratées. Ces ru­meurs sont passées de 2,5 millions de publications partagées à 688 000 en quelques jours.

Le compte ‘Pwitter de l’ex-président Trump était suivi par plus de 88 mil­lions de personnes. Un nombre co­lossal qui a amplifié de façon expo­nentielle des informations fausses ou vraies publiées par l’homme d’affaires.

Des ennemis de l’extérieur et de l’intérieur

Et il faut dire que, depuis la campagne présidentielle américaine de 2016, les réseaux sociaux Twitter et Facebook étaient considérés aux États-Unis comme des outils de déstabilisation de la démocratie à la solde de la Rus­sie. Début septembre 2020, en pleine campagne présidentielle, Facebook et Twitter affirmaient ainsi avoir été victimes de nouvelles campagnes de désinformation sur leurs réseaux en provenance de Russie et avaient en­trepris de suspendre une dizaine de comptes. La menace se focalisait alors sur la propagande russe. Mais il n’y avait pas forcément besoin de l’in­tervention du Kremlin pour amplifier les fausses informations. Ainsi, des experts ont pu identifier la montée d’une communauté conspirationniste baptisée QAnon.

Ses membres, qui défendent corps et âme Donald Trump, affirment qu’il est à la tête d’une croisade contre les élites de « l’État profond », une supposée entité informelle détenant secrètement le pouvoir. Ils accusent également les démocrates de dé­velopper un réseau pédophile sataniste. QAnon est très présent sur les réseaux sociaux et parvient à faire rayonner son discours au-delà de la communauté des adeptes de Trump. Relevant pratiquement de la secte, QAnon avait prédit un coup d’État pro-Trump le 20 janvier, jour de l’in­vestiture de Joe Biden à la présidence de la République. Une prise de pou­voir qui n’a pas eu lieu. Le phénomène s’exporte même à l’étranger avec des mouvements similaires au Brésil, en Angleterre, au Japon, en Allemagne et même en France. Ces comptes ont largement été suppri­més sur les réseaux sociaux. Le coup de balai de Twitter et de ses concur­rents a mis un grand coup de frein à cette désinformation qui n’avait pas vraiment besoin des Russes pour se répandre.

Des questions légitimes

À la suite du blocage du compte de Donald Trump, beaucoup se sont posé, à juste titre, la question sur la légitimité qu’ont des réseaux sociaux pour priver l’ancien président de sa parole. En France et dans d’autres pays européens, plusieurs personna­lités politiques se sont prononcées contre cette mesure. On peut se demander pourquoi une société privée pourrait ne pas avoir le droit de clôturer un compte qui ne respecte pas sa charte d’utilisation.

Mais sans Twitter, un personnage pu­blic de haut rang a encore les moyens de faire passer ses messages. On peut également se poser cette autre ques­tion : pourquoi les réseaux sociaux n’ont-ils pas réagi plus tôt, mais seule­ment après cette « prise » du Capitole et la mort de cinq personnes ?

D’abord, il faut rappeler que les ré­seaux sociaux gagnent de l’argent sur le trafic que génère le partage des publications. À ce sport, Donald Trump était un sacré accélérateur de trafic, qui attirait des dizaines de millions d’internautes à adhérer à Twitter et aux autres réseaux sociaux. Sur Twitter, il parvenait à déchainer les passions avec moins de 140 carac­tères d’un langage simple et souvent rédigé en lettres capitales. C’est via ces petits messages qu’il régissait la diplomatie américaine, au risque de déclencher un conflit armé avec la Co­rée du Nord, avant de serrer la main à son dictateur.

C’est certainement pour cette raison que les réseaux sociaux ne sont pas intervenu plus tôt. Cette absence de réaction a engendré une manifesta­tion funeste et plusieurs victimes, dont la démocratie américaine.

Reste que ce n’est pas en bannissant des plateformes des idées avec lesquelles on est en désaccord qu’on résout fon­damentalement le problème.